Ma Chère Léda (texte de Julie Estève)

 

 

Ma Léda, ma chère Léda

 

C’est l’histoire d’une légende mythologique si fertile qu’elle excita l’imaginaire et les mains des artistes depuis l’Antiquité. Léda et le Cygne raconte l’irrévérencieuse union entre une femme et un oiseau, entre la beauté et le pouvoir, entre l’épouse de Tyndare et puis le dieu des dieux alors métamorphosé en cygne pour la séduire : Zeus. Selon certaines versions, le croisement fut un viol, selon d’autres une étreinte sensuelle, à peine quelques caresses, quelques battements d’ailes. Ghyslain Bertholon traverse le mythe, s’enfonce dans ses allégories et fait un remake vénérien de la belle et la bête à tête de sexe.

 

Et ça ressemble à l’amour. Un cygne blanc et deux cœurs démesurés l’un noir l’autre blanc, posés là, au sol, comme un paysage de trophées. Mais pourtant, seul le désir s’amène, irrépressible. Il bondit de l’animal, de son bec turgide, gonflé, incandescent. Le petit nerf de chair, à vif, roux d’ardeur et ceinturé par un bracelet de force, de ceux que l’on aperçoit parfois dans quelques soirées particulières, se tend et ne s’arrêtera jamais de se tendre. On dirait un petit diable qui s’acharne à sortir de sa boite, un dragon sur un corps de canard, une chimère libidinale. Et tout d’un coup, Zeus est un clown, une aberration sexuelle, un simple coq sur un ring de fièvre. A côté de lui, sur ces cœurs géants qui ne battent plus, brillants de contrastes, toutes les artères et les tissus graisseux, les reliefs et les vaines passions s’aiguisent. Car derrière les vernis, les maquillages, se cachent toujours les cicatrices et le souvenir des sentiments. Et voilà un autre oiseau aquatique qui plonge, à pique, cul par-dessus tête, dans les eaux troubles ou profondes de l’existence. Il est maintenant à l’envers du monde. Et c’est une bête à la mer, en somme et c’est idiot car une bouée de sauvetage l’a piégée. Et la cabriole, et la galipette dessinent sur les visages des sourires, encore.

 

Ça ressemble à la mort. Des crânes, par paquets, en pagaille, agglutinés comme des diptères sur un autre, plus grand, plus fort, font rougir la citation biblique tirée de l’Ecclésiastique : « Vanités des vanités, tout est vanité. » Pour dire l’impermanence et la fragilité de la vie, pour écorcher les agitations de l’homme pour les joies, les biens terrestres, pour le pouvoir et les richesses, Bertholon choisit l’outrance des formes, l’hypertrophie visuelle. Ses extravagances sont des gros plans, des excès, des collisions. Alors on se cogne dans les dessous de l’ironie de Ghyslain, lorsque des mouches se posent clandestinement sur des fruits, si défendus, lorsque la petite bête s’épingle comme un bijou, une broche, sur l’origine du monde. Et le sexe des femmes, ici vierge de tout poil, est comme un appel au cri, au crime. La tentation se révèle profonde, irrésistible, trop humaine peut être.


Enfin, accrochés en vignette, comme des cartes postales mémorielles et un panorama iconographique de l’érotisme, s’alignent les versions passées de Léda et le Cygne d’après Boucher, Cézanne, Dali ou Da Vinci, entre autres. Glanées dans le flux des images du net, les toiles des maîtres pixellisées s’amusent avec le remix de Ghyslain.

Et nous aussi d’ailleurs. « Amuser les autres est une des façons les plus émouvantes d’exister. » Car c’est bien de cela dont il s’agit. De la Vie. Exister. Vivre à en crever.

 

 

Julie Estève 2012 (courtesy School gallery paris)


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