4810

par Ghyslain Bertholon  -  17 Mai 2008, 06:50  -  #actualité artistique

Je suis très heureux de vous annoncer qu'une image de You're welcome a été choisie par la Revue 4810 (éditions Glénat) afin d'illustrer un article de Yves Paccalet.

Très heureux car je suis avec intérêt les écrits de ce Monsieur depuis quelques années déjà.
Très heureux car il fait, dans cet article, référence un auteur que j'apprécie tout particulièrement, Alexandre Vialatte et son incontournable "l'éléphant est irréfutable".
Très heureux enfin car 4810 est une très belle revue* .
revue 4810

* et je ne dis pas cela uniquement parce que que je suis dedans, allez jeter un coup d'oeil (le numéro 2 est actuellement dans les kiosques**).
** Il s'agit d'un simple conseil amical, je n'ai pas d'intéressement à la vente !
A bon regardeur...

You're welcome (to Mister Felix Gonzales Torres) / G. Bertholon 2006
Bois laqué, acier et bonbon.



Rêve de loup

Comme l’éléphant d’Alexandre Vialatte, le loup est irréfutable. C’est un animal prouvé, au contraire de la Licorne ou du Vampire. Il est vif, rusé, coruscant, hirsute. Il vous considère de ses yeux jaunes, mais pas forcément pour vous manger mon enfant. Il exhale une évidence logique, zoologique et morale. Il ne saurait être révoqué du monde, ni par le ministère du Gibier et Accidents de Chasse, ni par l’Office du Ski et Fractures ; pas davantage par le syndicat de la Joyeuse Chevrotine ou l’amicale des Immeubles de Béton dans la Montagne.

Le loup est irréfutable… Quiconque, une fois dans sa vie, a vu frémir ses babines, devient une autre personne. Ou plutôt redevient ce qu’il fut avant l’invention du ministère des Accidents de Quatre-Quatre et des Balles Perdues réunis. Le loup et l’homme sont des bêtes sauvages, mais civilisées, composées de la même substance organique et passionnelle. Ils occupent des niches écologiques identiques : grands prédateurs, amateurs de gigot du dimanche, ils font plus souvent leur ordinaire de petits animaux et de plantes : lapins, grenouilles, myrtilles ou fraises. L’homme y rajoute du coca ou de l’âpremont, selon son degré de civilisation.

Les deux animaux s’organisent en familles et en clans. Ils forment des meutes ou des villages. Ils se parlent dans un langage chanté-modulé qui donne le frisson dans la montagne ou à l’opéra. Ils se caressent, se reniflent, se lèchent, se bécotent, marquent leur territoire, se prosternent devant le chef, subissent la mondialisation et s’envoient des coups dans le dos de l’arbitre. Certains pratiquent l’altruisme. Beaucoup passent leur vie la queue basse.

L’homme et le loup ont des destins qui se croisent. Canis lupus et nous-mêmes partageons, depuis la Préhistoire, trop de légendes et d’aventures pour que la cohabitation cesse faute de loups. Qui voudrait la mort de son frère ? Depuis le Moyen Age, nous exterminons nos semblables aux yeux jaunes. Nous les fusillons, nous les piégeons, nous les empoisonnons. Nous comprenons désormais que c’est une faute écologique et un crime contre les générations futures. Non seulement le loup est irréfutable, mais il est indispensable. Si nous ne réussissons pas à lui faire un peu de place sur cette Terre, cela voudra dire que nous n’en laisserons pas davantage aux éléphants, aux tigres, aux ours, aux baleines, aux requins, ni à aucun autre grand animal, puisque toutes ces créatures gênent quelqu’un, quelque part. Mais dans ce cas, nous nous punirons nous-mêmes. Nous ruinerons nos mythes et nos plus beaux poèmes, nos symphonies, nos peintures et nos rêves, en un mot tout ce qui nous a fait hommes avant que nous n’inventions l’Administration réunie des Pelles Mécaniques et des Fusils Mitrailleurs.

Demain, je marcherai dans la forêt de Tincave, au-dessus de Bozel, où j’ai deux fois vu le loup l’an passé. Je grimperai les flancs du mont Jovet sur la trace de cet animal admirable, heureusement revenu en France depuis l’Italie, et par ses propres moyens. Je veux croire que mon frère aux yeux jaunes me regardera comme un frère. Nous hurlerons ensemble un hymne à la beauté du monde.

Yves Paccalet

(Texte extrait de la revue  4810, n° 2)
Merci à eux.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :